Le doute est-il nécessaire en Franc-Maçonnerie?
- Josiane Grobéty
- 9 déc.
- 6 min de lecture
Les doutes, c’est ce que nous avons de plus intime. Albert Camus

A cette question, nous répondrons… Oui, mais pas que…
Introduction
De par l’étymologie du mot, le doute divise car il est le reflet d’un balancement entre deux positions. Le mot est issu de dubium dont la racine est duo. Le pensée se trouve sollicitée, tiraillée entre deux directions différentes, induisant hésitation, perplexité, indécision, incertitude. Dubitare peut évoquer une pause bénéfique dans la réflexion… et aussi un état de vide, de panique qui génère un malaise profond et pouvant générer l’aboulie, sorte de paralysie qui nous rend incapable d’agir.
Bref, le doute est un état de l’esprit, un état du mental qui ne se satisfait pas de ce qui lui est proposé. Il fait partie des mouvements de notre mental, ici aussi bien l’intellect que les émotions.
Un outil d’investigation selon les philosophes
Voici donc quelques points de repère :
Aristote place le doute comme moteur de la philosophie et donne à ce terme la nuance de l’étonnement face aux phénomènes. L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit.
Socrate nous invite à questionner les évidences et à rechercher la réalité qui se cache derrière les apparences : Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.
Pyrron est adepte du scepticisme car il rejette comme douteuses toutes les connaissances de son temps.
Descartes prône lui une méthode d’investigation en 4 temps : Refuser l’évidence, Analyser, Synthétiser, Vérifier.
Dans la tradition hébraïque, le mot hébreu Sapheq signifie le seuil de la porte. Il évoque le doute de celui qui s’arrête au seuil, sans oser aller plus loin.
Dans la tradition des Evangiles, le doute s’oppose à la foi, car il nie la confiance en plus grand que soi. Paradoxalement, Pierre Chrystologue, théologien du VIème siècle écrit : « Il doute profondément, celui dont la foi est plus profonde ». Faudrait-il douter de soi profondément pour se tourner vers Dieu ? Dieu serait-il un refuge ?
Le philosophe moderne, Don Miguel Ruiz, nous dit : « Doute, mais tout d’abord, sache écouter. » Car le doute sans l’écoute pourrait bien devenir stérile.
Enfin et je cite ici un aphorisme de Patanjali, (entre 200 et 500 av. J-C), le plus ancien d’entre tous,
« La maladie, l’abattement, le doute, le déséquilibre mental, la paresse, l’intempérance, l’erreur du jugement, le fait de ne pas réaliser ce qu’on a projeté ou changer trop souvent de projet, tels sont les obstacles qui dispersent la conscience. » Chacun de ces mouvements entretient l’autre et pour le doute, qui nous intéresse, seule la confiance ou la foi en seront l’antidote.
En conclusion de cette partie sur les philosophes, nous pourrions nous demander si le doute est un outil ou un obstacle sur la Voie de l’Eveil de la Conscience.
La Franc-Maçonnerie, une voie de l’Eveil ?
Si dans notre monde profane, le doute profite à l’accusé, il permet effectivement de trouver le temps d’approcher une vérité liée à la justice ou à la justesse des faits. Nous pouvons appliquer cette méthode pour tous les aspects de notre vie sociale.
L’Apprentie franc-maçonne est invitée à remettre ses propres vérités en cause, grâce à l’outil d’introspection qui est le fil à plomb. C’est un travail intérieur qui lui est demandé.
La compagnonne est aussi amenée à douter de ses propres certitudes dans une juste écoute de l’autre.
Nous dirons donc que le doute est un signe d’humilité et vecteur de recherche de la justesse des investigations et des interprétations. Le doute permet de lutter contre toute forme de dogmatisme ou de manipulation quant aux informations qui sont véhiculées dans les sociétés humaines.
En tant que Maîtresse maçonne, le doute devient un sain questionnement permettant la tolérance et l’amour pour ses SS et FF, pour l’humanité tout entière et pour l’ordre universel. Nous pouvons effectivement proposer que le doute est la base de la tolérance et de la libre pensée, chères aux Francs-Maçons. Mais ne pourrions-nous pas nous élever ici au-delà de la dualité proposée par le mot doute et parler de questionnement ? Soyez sceptiques, oui, mais apprenez à écouter nous dit en substance l’auteur des 5 accords toltèques. Au-delà de la dualité, questionner pourrait signifier : accueillir le dissemblable, discerner au- delà des apparences, accueillir l’autre dans la tolérance. Il serait question de savoir douter pour accueillir… sans aucun doute…
La Franc-Maçonnerie est indéniablement une construction solide qui permet d’exercer son libre arbitre, sans pression doctrinale aucune. Nous dirons donc oui, le doute en tant que questionnement est fondamental dans notre démarche maçonnique.
Pourrions-nous aller cependant plus loin car nous sommes dans une société initiatique…une voie qui est censée nous mener à l’épanouissement du Soi et non du Moi, une expansion, une éclosion, un dévoilement du trésor qui est en nous, en bref une voie de l’Eveil de la conscience individuelle et universelle.
Qui doute ?
Si nous reprenons la méthode posée par Descartes, je pense donc je suis… nous pouvons nous demander Qui est ce je qui doute, qui tergiverse, qui pèse, soupèse ? Est-ce le petit je égotique ? ou le grand Je, relié à l’Universel ? Nous retrouvons là nos Evangiles et les philosophies orientales. Si j’ai confiance, en moi, en le monde, en la Vie, le Moi-Je disparaît, je me confie au GADLU. C’est ce que nous faisons en invoquant la Gloire du Grand Architecte de l’Univers lors de nos travaux. Lorsque nous avons fait le choix de dire Oui à la Vie, le doute n’est plus, il n’a plus raison d’être.
La Franc-Maçonnerie est un ordre initiatique qui procède par degrés. Qu’est-ce que cela veut-dire ?
La lumière entrevue symboliquement lors de l’initiation n’est qu’un avant-goût de ce que nous pourrions découvrir si nous persévérons dans les voies de la Connaissance.
La Connaissance est celle de nous dépouiller des voiles que nous portons, certainement jusqu’à notre départ vers l’Orient éternel. Au fur et à mesure des passages, de degrés en degrés, les coins du voile se soulèvent et nous apprenons à trouver notre place en Loge par notre dévouement, devoir de service et ainsi à trouver notre place dans l’ordre universel. Les doutes font place à la confiance en notre propre nature lumineuse, l’amour de notre prochain, l’amour de l’Univers. Si vous observez une fleur, elle embaume, elle illumine l’espace et n’a aucun doute. Si nous dépassons nos doutes existentiels, nous nous fondons, nous nous dissolvons dans ce qu’il y a de plus sacré. On ne peut pas avoir deux Maîtres nous disent les Evangiles, on ne peut coudre avec deux aiguilles en même temps, disait un lama tibétain. Le but de notre voyage doit être clair.
Alors, le doute est-il nécessaire ? Oui, mais pas que…
Car l’Amour est plus fort que le doute… Quand tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi et regarde d’où tu viens, nous dit Katherine Pancol, journaliste et romancière française. D’où viens-je ? d’une fusion de deux cellules par Amour. Où vais-je ? je n’en sais rien car je doute de toute vérité dogmatique… mais j’ai confiance car je sais que l’Univers et moi sommes formés des mêmes atomes.
Le questionnement qui aide à nous construire est un stimulant. Cependant, s’il persiste, le doute nous épuise et génère des crises existentielles difficiles à surmonter, des trous de l’existence. Tandis que le questionnement serein permet d’avancer avec une assurance tranquille sans résignation ni fatalisme. Il est la base fondamentale de la phase d’apprentissage qui permet ensuite de s’éloigner de la perplexité ou de l’incertitude pour s’appartenir et vouloir ce que l’on fait. Car la passion, la volonté d’agir a besoin de de confiance en soi. Là le doute n’a plus sa place ou alors, il sera une simple remise en question passagère, un ajustement.
En bref, le doute invite à l’humilité et l’écoute, mais il peut aussi générer une dislocation du soi.
Pour dépasser ce danger de la séparation, les philosophies orientales proposent d’épouser son dharma, d’épouser son destin, d’œuvrer pour le dévouement, la confiance en l’action généreuse qui se base sur l’élan du cœur. Souvenons-nous que le cœur n’est pas lié au doute, seul le mental l’est.
Vers une conclusion
En Franc-Maçonnerie, le doute est indispensable et nous permet – en toute liberté – grâce aux outils et symboles mis à notre disposition, dont le Fil à Plomb, de jongler entre les cases blanches et noires du Pavé Mosaïque afin de trouver le juste milieu. C’est lui qui nous permet de progresser dans notre démarche maçonnique. Il nous enjoint à mieux nous comprendre en en nous amenant au questionnement. Aussi ce doute initie-t-il le début de la sagesse et induit-il la lucidité.
Mais restons vigilants et doutons sans sombrer dans le scepticisme. Selon les écrits recueillis des enseignements du Bouddha, « Il n’y a rien de plus terrible que l’habitude du doute. Le doute sépare les gens. C’est un poison qui désintègre les amitiés et brise les relations agréables. C’est une épine qui blesse et irrite. C’est une épée qui tue. »
Ecoutons encore Dugpa Rinpotché : « Les actions qui sont motivées par l’attachement agitent l’esprit et font naître le doute. Eprouve de la sympathie pour tes propres faiblesses, contemple-les comme l’adulte contemple un petit enfant. Alors elles deviendront ta force ».
Douter de la Méthode maçonnique, elle-même fondée sur la pensée analogique, risque de nuire à notre épanouissement car avant tout, nous recherchons la Lumière, en nous, autour de nous.
Pour la Loge Tanit. S.’. Ora.’. JG
Synthèse de réflexion de Loge, tous grades confondus. Mars 2025













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